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Droits à l'image des Bleus : "Le football va devenir l'un des sports les plus individualisés" - L'Express

"Le football a changé". En juin 2022, Kylian Mbappé, interrogé sur la question de la gestion de son image et sur le sponsoring, avait à nouveau prévenu qu'il fallait compter sur lui pour faire entendre sa voix sur la question des droits à l'image collectifs. Après le nouveau refus de l'attaquant du PSG de participer à une opération marketing, la Fédération française de football (FFF) a annoncé dans la soirée du lundi 19 septembre son souhait de "réviser dans les plus brefs délais" la convention sur les droits à l'image la liant aux Bleus. 

A la suite d'une première querelle en mars sur l'utilisation de l'image des internationaux, une convention que Kylian Mbappé et ses conseillers souhaitent modifier, les deux parties s'étaient rencontrées, sans toutefois parvenir à un accord. En déclarant lundi dans L'Equipe que "rien ne changera d'ici la Coupe du monde", le président de la FFF, Noël Le Graët, a rallumé la mèche. Dans la foulée, Kylian Mbappé a décidé de ne pas prendre part à la séance photo prévue mardi. 

La menace de boycott a rapidement porté ses fruits : la fédération a en effet annoncé qu'elle s'engageait à "travailler aux contours d'un nouvel accord qui lui permettra d'assurer ses intérêts tout en prenant en considération les préoccupations et convictions légitimes exprimées unanimement par ses joueurs". Kylian Mbappé a donc bien participé ce mardi aux opérations marketing lors du stage des Bleus. Auprès de L'Express, Pierre Rondeau, économiste du sport, professeur à la Sports Management School et co-auteur du livre Grand Footoir (Editions Solar), analyse cette convention élaborée en 2010 et explique pourquoi le buteur de 23 ans souhaite pouvoir garder le choix des marques auxquelles son image est associée. 

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L'Express : En quoi consiste cette convention sur les droits à l'image collectifs liant l'équipe de France de foot et la FFF ? 

Pierre Rondeau : La convention actuelle a été renégociée en 2010, après l'épisode de Knysna lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud. L'idée, à l'époque, c'était de dire que jouer pour les Bleus était un honneur et que les Bleus devaient se plier aux desiderata de l'équipe de France et de la FFF dans la mesure où le foot professionnel avait été sali par cet épisode. Il fallait montrer que le foot pro allait soutenir le foot amateur et le foot féminin à travers une plus grande redistribution, en abondant par exemple au fonds pour le foot amateur.  

La FFF s'occupait jusqu'à présent de la négociation et de l'application de ces contrats en partant du principe que l'aval des joueurs de l'équipe de France était automatique et qu'ils n'avaient donc pas leur mot à dire. Autrement dit, une sélection entraînait automatiquement la cession de l'intégralité des droits à l'image du joueur sélectionné. L'équipe de France pouvait ainsi signer au nom de ses joueurs des partenariats et des contrats de sponsoring avec des marques en échange de sommes colossales. Il faut noter que l'exploitation de l'image commence dès la première sélection et dure encore jusqu'à 5 ans après la retraite professionnelle d'un joueur. Le budget de la FFF pour la saison 2020-2021 est de 266 millions au total, dont 41,6% de recettes grâce au sponsoring des partenaires. C'est donc une rentrée financière importante.  

En mars dernier, Kylian Mbappé a remis en cause ce procédé et il a décidé de ne plus être associé à certaines marques qu'il considère comme pas assez éthiques à ses yeux, dans la restauration rapide et les paris sportifs. (NDLR : parce que ces marques ne promeuvent pas une alimentation saine à l'adolescence et parce qu'elles favorisent l'addiction au jeu en ciblant les jeunes des quartiers populaires, deux causes qui lui tiennent à coeur). Avec sa menace de boycott, et grâce à sa notoriété, il a pu changer les choses. L'équipe de France et la FFF vont ainsi rapidement signer une convention octroyant aux joueurs un droit de regard sur le choix des marques. Il faut rappeler qu'il existe plusieurs autres conventions, par exemple entre un joueur et son club - le joueur cède son image au club qui va négocier sa visibilité pour les contrats de sponsoring et les contrats commerciaux - ou encore une convention collective entre le syndicat des joueurs et le joueur. 

La convention actuelle devait donc absolument être modifiée ? 

On peut apporter des nuances. Car au-delà de la question éthique, il y a celle des gros sous. Selon le journal L'Equipe, dans la nouvelle convention collective les joueurs auraient dorénavant un droit de regard sur le choix des marques et, au-delà de la question éthique, il y aurait une vérification préalable afin de savoir si ces marques pressenties ne viennent pas s'opposer aux marques directement liées au joueur dans son contrat individuel. Par exemple, si un contrat a été signé par un joueur avec McDonald's, est-ce qu'il serait bienvenu que l'équipe de France signe un contrat avec KFC ?  

Par ailleurs, sur le plan strictement comptable, avec ces nouveaux garde-fous, on peut craindre à l'avenir un risque de décote d'un contrat de sponsoring. En effet, si les joueurs refusent d'associer leurs images aux sites de paris sportifs ou de restauration rapide, par exemple pour des raisons éthiques ou religieuses, on prend alors le risque de réduire les offres de partenariat avec l'équipe de France, puis de réduire la valorisation des contrats de sponsoring et donc la décote sur le budget de la FFF et, in fine, par effet de ruissellement, cela pourrait se traduire par une diminution des parts allouées au foot amateur et féminin. 

Au final, c'est donc un vrai revirement qui s'opère ? 

Il ne s'agit pas d'une révolution, mais d'une confirmation du renforcement de l'individualisation du foot, un phénomène déjà observable depuis des années : le foot 2.0 qui coexiste avec les réseaux sociaux. A mon sens, le premier qui a confirmé ce phénomène de prise de contrôle de son image avant le club et l'équipe nationale est David Beckham, à l'orée des années 2000. Ce phénomène s'est intensifié avec les réseaux sociaux : désormais, un joueur peut passer par Instagram, Snapchat, Facebook et Twitter pour imposer son image et sa visibilité, avant de passer par les médias et son club. 

On peut également rappeler que Zlatan Ibrahimovic s'est opposé à la cession des droits des joueurs aux vignettes Panini, refusant ainsi de céder les droits à son image. Récemment, la star suédoise s'est également insurgée contre la marque EA Sports qui utiliserait impunément son image pour le jeu FIFA sans qu'il reçoive en retour, selon lui, une rémunération à la hauteur de sa notoriété.  

La polémique entre Kylian Mbappé et la FFF vient donc confirmer un phénomène qui s'observe depuis une vingtaine d'années et qui risque à terme de bouleverser l'écosystème du football et de faire de ce sport collectif l'un des sports les plus individualisés. On voit bien que l'image du footballeur est aujourd'hui aussi importante que son talent sportif. Un joueur de haut niveau est représenté sportivement, médiatiquement et doit montrer à quel point il est un citoyen honnête.  

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Comment fonctionne la cession de ces droits à l'image collectifs dans d'autres sports ?  

Les joueurs de l'équipe de France de rugby doivent eux aussi céder leurs droits à l'image à la fédération, c'est donc un peu pareil que le foot. Cependant, il existe une clause dans cette convention stipulant l'interdiction pour les marques de mettre en avant un joueur en particulier, par exemple dans les publicités : il faut a minima entre trois et cinq joueurs. Il s'agit donc d'empêcher de starifier un joueur en particulier. 

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